DES HABITANTS A L’OEUVRE – POUN NAOU

Alexandra Pouzet & Bruno Almosnino

2018-2020

JANVIER 2021

Le travail résultant de l’enquête d’Alexandra Pouzet et Bruno Almosnino se nomme Poun naou.

Poun naou est à la fois un journal de terrain et le catalogue imaginaire d’une culture matérielle de montagne. Deux années durant (2018-2020), dans la commune d’Arras-en-Lavedan, les auteurs ont longuement rencontré plusieurs habitants à propos du parcours d’art contemporain installé dans leur village. Poursuivant une démarche d’enquête artistique, ils ont questionné les personnes sur leurs arts de faire, leurs goûts, leur empruntant des objets, essayant de repérer des traditions, des métissages, des cultures. Une ethnologie des mondes finissants pourrait ici trouver sa placemais c’est au présent que les auteurs insistent.

Alexandra Pouzet interroge la photographie d’oeuvres d’art comme outil objectif d’inventaire d’une culture. Poun naou questionne une mémoire collective et ses constructions. « Art moyen », la photographie fait pont entre le savant et le populaire. Les textes de Bruno Almosnino racontent la progression dans le village en chapitres courts, faits de rencontres situées, de réflexions, de poèmes. Une communauté prend corps, dans la façon dont elle se donne à voir et à entendre. L’engagement ethno-artistique cherche à se placer à la hauteur de la confiance des habitants.

MAI – JUIN 2020

L’enquête artistique que nous menons depuis un an et demi à Arras-en-Lavedan, en textes (Bruno Almosnino) et en photographies (Alexandra Pouzet), s’appelle provisoirement « Des habitants à l’oeuvre ». 

Au départ centrée sur le parcours d’art contemporain installé au sein du village et sur un frottement un peu attendu entre rural et contemporain, l’enquête s’est déplacée par la rencontre d’une trentaine d’habitants qui nous ont conduit vers leurs arts de faire, parlant et montrant ce qui compte et à quoi l’on tient. Où il est question des déchirures du monde pastoral, de reprises, de tourisme, de changements, de transmissions, d’oublis, de soucis, de bien-être. Ils nous confient des objets qui sont installés et photographiés. On se plait à croiser différentes catégories de l’art, savant et populaire, contemporain et traditionnel, artisanal ou conceptuel. Les objets des habitants peuvent se mêler les uns aux autres. Les photographies, en studio ou paysages extérieurs, disent aussi qu’un point de vue d’auteur est clairement assumé. L’enquête donne l’occasion de replonger dans l’histoire d’une ethnologie française classique, celle des collections des Arts et Traditions Populaires, du « système des maisons » et de l’enregistrement de la mémoire des « derniers ». Mais c’est bien au présent que le propos artistique se tient. L’occasion se présente de se confronter à des questions fortes que sont la biographie, l’exposition et la muséographie d’objets et de personnes.

JANVIER 2020

Restitution publique « Des Habitants à l’oeuvre »

Le 10 janvier, la municipalité d’Arras-en-Lavedan proposait une première présentation de la résidence d’artistes sur le thème «Des habitants à l’œuvre», réalisée par les artistes eux-mêmes, Alexandra Pouzet et Bruno Almosnino.

« Il ne s’agit que d’un extrait du travail mené depuis septembre 2018, soit à peu près un tiers», précise Alexandra Pouzet, au début de la rencontre, rassurant les personnes venues ce soir qui auraient pu s’inquiéter de ne pas s’y retrouver présentées. La feuille de route de ce projet, confié par la mairie d’Arras-en-Lavedan, consiste à mener une enquête réflexive sur le rapport d’habitants à la création contemporaine dans ce village de montagne profondément marqué par l’art où les œuvres font partie intégrante du paysage.

À la suite d’une rencontre fortuite par le biais du bistro-librairie Le Kairn, les deux artistes décident de proposer leurs services à Charles Legrand, le maire du village, et parviennent, grâce à leurs travaux précédents, à le convaincre. Ils rencontrent alors une cinquantaine d’habitants d’Arras pour retenir finalement 25 d’entre eux.

Connaître leur point de vue sur le village et son identité artistique est le point de départ, mais les entretiens se font plus intimes et chacun livre un peu de lui dans le souci évident de garder une trace d’eux et de leur village bien au-delà de la feuille de route de départ. Des témoignages de vie, des visages taillés à la serpe dans une recherche esthétique dévoilant une authenticité et une certaine fragilité qui déroutent le public.

Laisser indifférent est le pire cauchemar de l’artiste, questionner, déranger, intriguer voire repousser est signe que la recherche artistique a atteint son but: bousculer.

Les réactions exprimées à l’issue de la présentation ne laissent aucun doute, le travail des deux artistes a bousculé. Ces portraits ont questionné, parfois dérangé ou enthousiasmé mais n’ont laissé personne indifférent. Les textes accompagnant la présentation ont rajouté à l’esprit poétique du travail de la photographe, lus à haute voix par les deux artistes renforçant ainsi l’authenticité des témoignages.

Chaque portrait est accompagné de ses objets qui en disent encore un peu plus du personnage. Une mise à nu par la photo, par le texte qui s’apparente plus à un objet d’art qu’à un documentaire classique, n’en déplaise à certains. Quoi de mieux pour un village dont la sensibilité artistique n’est plus à prouver.

JANVIER – MAI 2019

Enquête artistique sur le rapport d’habitants à la création contemporaine dans leurs paysages quotidiens.

Nous faisons des portraits. Nous rencontrons et questionnons des gens à propos de leurs lieux, leurs paysages, de leurs goûts, des habitudes, des savoir-faire et regarder. Attentifs au tournant climatique, curieux des pratiques contemporaines en milieu rural, nous rencontrons les doutes et les certitudes devant le monde qui vient, qui est là. Par l’image photographique et la parole mise en texte, nous nommons enquête artistique cette immersion dans des lieux et des questions, qui nous traversent, nous déplacent et guident la création.

Des points de vue / Une démarche réflexive

Depuis quelques années, la commune d’Arras en Lavedan a fait le choix, en plus de la réhabilitation du Presbytère en Maison des Arts, d’amender ses paysages et ses espaces d’œuvres plus ou moins monumentales.

Une nouvelle histoire du village s’écrit ; les œuvres permettent peut-être de borner ces changements. Après plusieurs phases de productions et l’existence à présent d’un parcours d’art dans le village et ses alentours, la question se pose de savoir comment les habitants ont reçu ces transformations du paysage, comment ils vivent avec les œuvres.

Nous proposons une démarche réflexive, pour prendre le temps avec les habitants de revenir sur ce qu’il est donné à voir d’Arras. Nous questionnons : comment vous êtes-vous familiarisés avec ces œuvres ? Les regardez-vous, les voyez-vous encore, vous en détournez-vous ou bien les partagez-vous avec des visiteurs ? Les rencontres sont l’occasion de dire la place de l’art dans la vie quotidienne, les manières dont on agit, ce qu’on aimerait, ce dont on rêve.

OCTOBRE – NOVEMBRE 2018

J‘entre chez un habitant d’Arras-en-Lavedan, un village des Hautes-Pyrénées (65), et découvre, accrochée au mur du salon, une quenouille en bois sculpté, réhaussée de deux couleurs.

Inquiétante étrangeté.
Impression de déjà-vu et émerveillement.
De quoi s’agit-il ? De quelle culture provient cet indice, de quel foyer de pratiques rituelles ou magiques ? S’agit-il d’un objet d’art premier ? Je n’en ai aucune idée et suis loin d’imaginer qu’il provient du Val d’Azun, qu’il est typique des productions locales issues des arts et traditions populaires du XXème siècle.

En allant par la suite dans des musées de société exposant cette vie pastorale, une gêne émerge. Quelque chose contrevient à la sensation première éprouvée face à la quenouille. La présentation des objets insiste sur un monde fini(ssant). Elle relègue les puissances artistiques au profit d’un discours scientifique ou pédagogique, désactive l’aura des objets au bénéfice de leur fonction, empêche l’accès à un inventaire de formes inconscientes, archaïques, mémorielles.

Le geste muséographique prend ici le contrepied de celui des musées d”art moderne et contemporain qui pensent au présent des durées et des temps bien plus anciens parfois comme le géologique par exemple, qui réhabilite l’artisanat comme part entière de l’art, ou insiste sur la décolonisation des esprits quant aux classements ou à la déclassification de certaines populations.

À partir d’une collecte sensible réalisée auprès d’une trentaine d’habitant.es, Poun naou formalise une série de portraits et de paysages en images et en textes. Poun naou, qui signifie pont neuf en patois, est un hommage à la vie rurale, aux arts paysans et négligés. Et un geste muséographique de réparation.

Les portraits photographiques, réalisés en studio, ne figurent pas les personnes, ils les représentent par un assemblage de plusieurs de leurs objets, détournés de leurs fonctions usuelles, mis en oeuvres, “à la manière de”, selon des esthétiques empruntées à des courants artistiques et des codes muséographiques. Prélèvements, documents, objets d’art, détournements, réappropriations, citations et reproductions photographiques se croisent et s’impliquent.

Les paysages rappellent la force de la culture visuelle sur nos perceptions, une certaine conquête de l’espace, l’esprit dans la matière, le regard comme pouvoir d’éteindre autant que d’éclairer des mondes.