11 octobre > 16 novembre
ouverture du vendredi au lundi
Cette exposition réunit deux séries photographiques qui, à travers les regards croisés de Guillaume Noury (Les Monts Manquants) et Charlotte Auricombe (Cau del llop), explorent une même thématique avec des sensibilités et des écritures visuelles singulières.
Les Monts Manquants et Cau del Llop se répondent comme deux voyages intérieurs, deux quêtes où la photographie devient le langage de la mémoire et du désir.
Dans Les Monts Manquants, de Guillaume Noury, tout naît d’une fulgurance d’enfance survenue au pied des montagnes pyrénéennes. De cette sensation première, vive et charnelle, surgit un cheminement entre deux territoires, la Loire d’aujourd’hui et les vallées des Gaves rêvées, recomposées par le souvenir. L’oiseau y devient figure centrale : il traverse les paysages, se fait messager de réminiscences, allégorie d’une mémoire qui plane, disparaît et revient, toujours mouvante, toujours réinventée. La série se construit ainsi comme une topographie sensible du souvenir, où les images ne racontent pas mais esquissent, où chaque fragment se fait ancrage et glissement.
Avec Cau del Llop de Charlotte Auricombe, c’est une crique catalane qui se déploie comme espace matriciel, traversé de légendes et d’ombres. Ce lieu, visité inlassablement, devient une chambre secrète où s’accumulent les traces : minérales, végétales, animales, mythologiques. Il s’agit moins de représenter un paysage que d’en exhumer les profondeurs, d’en révéler l’épaisseur sensible. Dans cette crique qui est à la fois faille et refuge, le regard se fait archéologue d’un monde intérieur : ce qui s’y trouve n’est jamais figé, mais porté par le mouvement de l’eau, des sédiments, du temps. L’inventaire poétique s’élabore alors comme une fouille intime, où se mêlent la densité du réel et les métamorphoses de l’imaginaire.
Réunies, ces deux séries déploient une cartographie des attaches profondes qui nous lient aux lieux et aux temps traversés. L’une recompose un territoire d’enfance pour en faire l’humus d’un avenir possible, l’autre interroge la puissance des creux, des strates, des silences. Toutes deux invitent à un voyage qui dépasse la simple image : un passage vers l’épaisseur des sensations, des souvenirs et des légendes, là où le paysage devient mémoire vivante et la photographie, un acte d’habitation poétique du monde
« Hier, mes mains ont plongé dans un chaos doux et joyeux… »
Tout est parti de ce souvenir. Un souvenir d’enfance intense et sensoriel, inscrit dans un lieu bien précis : un enclos rempli de chiots, dans une location de vacances face au soum de Lats à Esquièze-Sère, près de Luz Saint-Sauveur dans les Hautes-Pyrénées. J’avais sept ans. J’ai le souvenir du contact vivant, du tumulte heureux, des jappements, de la terre, du souffle chaud de ces petits corps animés. Un souvenir lumineux.
Depuis 2020, ce souvenir est devenu le point d’origine d’un travail photographique. J’ai commencé à faire des allers-retours entre les bords de Loire où je vis aujourd’hui et les vallées des Gaves, territoire fantasmé de l’enfance, territoire désiré. Arpenter, sentir, photographier. C’est un travail de résonance : je cherche à établir des correspondances entre deux territoires, deux âges de la vie, deux formes de présence. Les images recueillies n’illustrent pas un récit linéaire : elles en esquissent les contours, elles incarnent les rémanences, les glissements, les ancrages.
En voulant photographier une buse variable dans un centre de soin de faune sauvage, j’ai compris que l’oiseau, plus que tout autre motif, était l’allégorie du souvenir. La buse relie la Loire aux Pyrénées, elle est à la fois commune, discrète et fantastique, elle plane, s’élève, disparaît et revient. L’oiseau comme le souvenir, change de forme.
Scientifiquement, on sait qu’un souvenir, chaque fois qu’il est rappelé, est réinscrit différemment, il devient un faux souvenir dont la matière première reste véritable. Cette série est donc une exploration sensible de ce que la mémoire laisse en nous : une constellation de sensations, de paysages, de désirs et de présences. Il interroge la forme du souvenir, sa porosité, sa transmission. Il parle aussi du désir d’habiter pleinement un territoire : pas seulement y retourner, mais y vivre. Faire que le souvenir ne soit plus seulement une image du passé, mais le ferment d’un avenir.
Ce travail photographique aboutira à un livre publié au printemps 2026 aux éditions Sur La Crête.
Photographe en noir et blanc, Guillaume Noury explore les territoires traversés, notamment Pyrénées, en écho à son histoire et son imaginaire.
Lauréat du Vincennes Images Festival (2015) et du prix Planche(s) Contact de Deauville (2018), il a publié Terres obsidiennes en 2021 et prépare un nouveau livre à paraître en 2026
Cau, littéralement trou – tanière, est une crique à la sortie d’un village catalan où je reviens chaque année, quelles que soient les saisons. Comme un rendez-vous immanquable, une promesse. Depuis l’enfance, et, au fil du temps, ce petit banc de sable est devenu espace intime.
La légende raconte qu’on l’appelle Cau del llop – le trou du loup – parce qu’un homme y aurait trouvé refuge dans une grotte. Il aurait survécu là en ermite, avec une mouette et un loup. À partir de cette légende, j’explore un monde où l’on va va peu à peu s’immerger jusqu’à perdre pied. Car cette crique est un creux. Un creux au sens propre, dans sa forme géographique, comme au sens figuré, avec tout ce qui vient s’y loger. Les espèces vivantes, les végétaux et les minéraux peuplent la mer et son imaginaire. De même que les trouvailles que lorsqu’on ramène à la surface deviennent des trésors, les souvenirs précieux d’une concrétion du temps. De cet ensemble – vivant, fantomatique, métamorphosé fossilisé – je cherche à faire une archéologie, un inventaire sensoriel, énigmatique.
Cau del llop est une quête de ce qui se cache dans les failles et les profondeurs. C’est un voyage intérieur et organique où se collectent tout à la fois les traces poétiques de cette crique et celles de nos peurs et de nos désirs de plonger dans d’autres dimensions.